La disparition des insectes et des oiseaux, ainsi que la dégradation des écosystèmes marins, témoignent de la destruction tangible de la biodiversité planétaire. La manière dont nous produisons et consommons notre nourriture est principalement responsable de cette situation et l’industrie agroalimentaire joue un rôle crucial.
Le système alimentaire mondial est fortement impliqué dans la perte de biodiversité. L’agriculture seule a été identifiée comme une menace pour 86 % des espèces en voie de disparition et représente environ 30 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre, 80 % de la déforestation et 70 % de la consommation d’eau. Cela a des conséquences dangereuses, voire irréversibles, sur la résilience écologique, qui affecte directement la résilience des entreprises.
Nous parlerons ci-dessous de ce que signifie réellement la biodiversité, des problèmes de biodiversité auxquels l’industrie agroalimentaire est confrontée, des indicateurs de biodiversité que nous pouvons utiliser et de la manière dont les entreprises alimentaires peuvent commencer à intégrer la biodiversité dans leur stratégie environnementale dès aujourd’hui.
Des mots tels que écosystème, flore, et espèces animales pourraient vous venir à l’esprit en premier. Lorsque nous parlons de biodiversité, cela fait essentiellement référence à tout ce qui est lié à la nature et au monde vivant. C’est un concept vaste, mais nous pouvons y réfléchir en termes de sphères, reliées les unes aux autres.
Ces services sont fournis gratuitement par la planète, et l’équilibre entre les espèces et les écosystèmes est ce qui permet notre survie. Lorsque l’écosystème est en danger, toute une diversité d’espèces peut également être menacée. C’est pourquoi la sixième extinction de masse est un sujet dont on parle aujourd’hui.
Il y a cinq pressions humaines liées à l’agriculture qui menacent la biodiversité. Il s’agit de (1) l’occupation et la transformation des terres et des mers, (2) la surexploitation des ressources, (3) le changement climatique, (4) la pollution et (5) les espèces exotiques envahissantes.
Selon Elsa Maurice, consultante en biodiversité chez Quantis, beaucoup d’entreprises agroalimentaires travaillent aujourd’hui uniquement sur le climat et il est temps d’arrêter de travailler en silos car il s’agit d’un secteur qui est à la fois la source d’impacts et de solutions.
Aujourd’hui, presque la moitié de la production alimentaire mondiale repose sur le dépassement des limites planétaires de la Terre. La production alimentaire actuelle utilise trop de terres pour les cultures et le bétail, utilise trop d’engrais et de pesticides et irrigue excessivement. Il est nécessaire de repenser le système en fonction des limites planétaires. Bien que l’agriculture puisse être au cœur des problèmes, elle est également au cœur des solutions.
📹 Regarder un extrait d’un expert en biodiversité qui explique l’interconnectivité du système agricole.
Les risques ne sont pas si lointains qu’on le pense. Nous les voyons apparaitre dès aujourd’hui. La ville de Grigny a par exemple demandé publiquement à Coca-Cola de mettre fin à l’utilisation de l’eau souterraine pour la production de boissons. Un autre exemple est celui de LE DUFF, un leader des pâtisseries industrielles, qui a dû abandonner le projet de construction de son usine dans la ville de Liffré. L’entreprise a cédé à la pression des opposants qui ont cité des préoccupations environnementales, car l’usine proposée aurait consommé une quantité excessive d’eau potable en pleine sécheresse et aurait également artificialisé 21 hectares de terres agricoles clôturées et de zones humides. Les retombées du projet ont entraîné non seulement des pertes économiques, mais aussi la perte de création de 500 emplois, que la région de Bretagne espérait. Ce ne sont que quelques exemples. Les entreprises qui négligent la perte de biodiversité doivent se préparer à des perturbations importantes de leurs opérations, de leurs chaînes d’approvisionnement et de l’économie en général. Aujourd’hui, les entreprises pilotent à l’aveugle et doivent commencer à réfléchir différemment à leurs stratégies à long terme, par exemple en envisageant de transformer leur modèle économique.
S’attaquer à la biodiversité, contrairement à s’attaquer au changement climatique qui n’a qu’un seul indicateur (les GES), est complexe et a de nombreuses dimensions. Cependant, nous avons des indicateurs de pression (causes) tels que les tendances de l’utilisation des terres et de l’eau, la perte d’habitat ou les quantités d’intrants utilisés, et nous avons également des indicateurs d’état (effets) tels que la diversité des espèces ou l’intégrité des écosystèmes.
« La grande question est de savoir comment faire le lien entre les indicateurs de pression et les indicateurs d’état ».
Selon Christian Bockstaller de l’INRAE, c’est là que réside l’intérêt d’une autre famille d’indicateurs appelée les indicateurs prédictifs. Ces indicateurs aident à relier les causes et les effets, à estimer et à simuler des scénarios. Ils nous permettent de poser des questions telles que : que se passe-t-il si je réduis les doses de phytos de 20 % et j’augmente l’IAE de 10 % ? Il existe également des indicateurs d’Analyse de Cycle de Vie (ACV) qui nous permettent d’allouer les impacts sur les produits finaux.
C’est un panorama assez technique, mais pour le simplifier, il y a beaucoup d’indicateurs et nous ne devons pas nous fier à un seul indicateur de biodiversité pour résoudre tous les problèmes. Aujourd’hui, nous avons l’ACV, où nous pouvons intégrer la biodiversité dans la comptabilité environnementale, mais il y a des limites à cela car elle ne prend pas en compte l’aspect systémique. En bref, l’approche de l’ACV est indispensable, mais elle doit être complétée par d’autres indicateurs qui ne sont pas seulement qualitatifs (niveau d’impact exprimé en classe), mais aussi quantitatifs (surface de terre occupée, volume d’eau). Aujourd’hui, ce que nous avons est davantage une boîte à outils qu’un indicateur global pour expliquer tout cela, d’où la nécessité d’aller plus loin dans les travaux sur les liens entre activités humaines et impact sur la biodiversité.
📹 En savoir plus sur les indicateurs de biodiversité spécifiques. Regardez un court extrait ici.
Encore une fois, il n’y a pas de critère parfait, mais il y a plusieurs critères spécifiques adaptés à différents besoins et qui peuvent être examinés dès maintenant. Les entreprises agroalimentaires doivent comprendre la situation dans laquelle elles se trouvent et utiliser les données disponibles des pressions humaines décrites ci-dessus pour définir des références telles que « Quelle est notre consommation d’eau aujourd’hui ? Quelle sera ma cible de réduction en termes de mètres cubes d’eau ? » Elles doivent également se demander quels moyens sont à leur disposition.
Face à la pression croissante sur l’environnement et aux efforts accélérés des organismes indépendants, nous pouvons nous attendre à voir 20 à 30 réglementations arriver dans les cinq prochaines années. Par exemple, en 2024, le CSRD (Corporate Sustainability Reporting Device) entrera en vigueur en France, et en 2026, le CBAM (Carbon Border Adjustment Mechanism) sera appliqué dans le cadre de la législation du Green Deal européen. Le SBTn (Science Based Targets Network) sera renforcé avec le SBTi (Science Based Targets Initiative).
L’objectif de neutralité carbone est impossible à atteindre sans une stratégie environnementale qui prend en compte la biodiversité. Les entreprises agroalimentaires doivent agir dès maintenant. Cependant, il faut garder à l’esprit qu’il s’agit également d’un problème systémique et structurel qui nécessite une collaboration des différents acteurs tout au long de la chaine de production. Tous les acteurs de la chaîne de valeur, des agriculteurs aux consommateurs, doivent être impliqués.